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Je suis entré dans l’Opus Dei à l’age de quinze ans

, par vivelavérité


Bonjour à tous,

Je suis entré dans l’Opus Dei à l’âge de quinze ans, mais une forte pression psychologique a commencé à être mise sur moi dès mes quatorze ans. C’est du reste une pratique courante dans l’Opus Dei ; les personnes qui s’occupent de ce qui est pudiquement (mensongèrement ?) appelé "apostolat auprès des jeunes" (et qui devrait plutôt être appelée "sollicitation éhontée d’adolescents influençables") commencent souvent, lorsqu’un candidat potentiel à l’admission est repéré, à mettre sur lui une forte pression psychologique dès les douze ou treize ans.

Cette pression psychologique, je dois le reconnaître, a porté ses fruits à l’époque. Fragilisé psychologiquement par la grave maladie d’un de mes frères, je m’étais réfugié dans un monde imaginaire et dans la pratique religieuse, pratique qui pour moi à l’époque s’identifiait avec la fréquentation du centre de l’Opus Dei de la ville où j’habitais. J’y trouvais une seconde famille, des gens plus âgés avec qui je pouvais avoir des conversations plus sérieuses qu’avec les jeunes de mon âge, et un sentiment d’être accepté et écouté. Bien entendu, mes parents, étant membres de l’Opus Dei, encourageaient de toutes leurs forces cette fréquentation et espéraient même que je deviendrais numéraire de l’Opus Dei, comme ils me l’ont dit plus tard.

A la fin de ma troisième, le directeur du centre, qui était la personne avec laquelle je m’entretenais chaque semaine et à qui je me confiais, nous proposa, à moi et à d’autres jeunes du même âge (quatorze ans), de faire un voyage à Rome. Evidemment je fus très enthousiaste à l’idée de découvrir la ville mythique. Le voyage eut lieu, et au cours de notre séjour là-bas on nous fit (sans nous demander si nous en avions envie) assister à une visite de la "maison mère" de l’Opus Dei à Rome et assister à une audience ou une sorte de grande réunion avec le prélat de l’Opus Dei. J’ai relativement peu de souvenirs de cette visite, mis à part un numéro d’un prêtre qui joua du jazz au piano que je trouvai très bon.

Je me souviens aussi d’une sorte de chanson espagnole que tout le monde entonnait à certains moments, un peu comme une chanson que tout le monde était censé connaître, mais que nous Français ne connaissions pas, ce qui me fit nous sentir très légèrement exclus et mal à l’aise. (Si j’ai le temps je parlerai du profond "hispanocentrisme" de l’Opus Dei, qui est évidemment lié au fanatisme nationaliste de son fondateur. Par exemple, la langue officielle de l’Opus Dei est l’espagnol, et tout membre doit obligatoirement l’apprendre, on a des cours l’été pendant les "cours annuels", les documents officiels sont écrits en espagnol etc...) Je me souviens aussi qu’on nous fit visiter cette grande maison et qu’on nous fit voir, dans une chapelle très décorée, le tombeau du fondateur, devant lequel une file continuelle de personnes se pressaient, embrassaient un certain médaillon à son effigie, puis allaient prier à genoux devant le tombeau. (Je précise que Josemaria Escriva n’était pas canonisé à ce moment-là, et n’avait donc que le statut de bienheureux, mais que tous les gestes de dévotions étaient encouragés, y compris les plus ridicules et les plus superstitieux : des gens qui frottaient leur chapelet sur la vitre du tombeau, etc...) Il y avait aussi, dans un couloir, une grande statue d’une vierge à l’enfant dont tout le monde embrassait le pied, apparemment c’était ainsi qu’il fallait faire quand on passait à côté. Je me rappelle n’avoir pas eu envie de le faire, mais quelqu’un insista et j’embrassai le pied de la statue.

Au fond, le sentiment dominant de cette visite avait été une indifférence au sein de laquelle il y avait une pointe de malaise dont à l’époque je n’aurais pas su dire l’origine, mais j’étais malgré tout content de passer une journée avec des amis dans une ville nouvelle.

De retour au centre où nous étions hébergés, le directeur me demanda si j’avais un moment pour parler avec lui. Je répondis que oui, et nous avons commencé à parler, ou plutôt il commença à parler. Il me dit qu’il pensait que Dieu m’appelait et qu’il pensait que j’avais la vocation de numéraire de l’Opus Dei. Je me souviens seulement d’avoir été très surpris, parce que je crois que cette idée-là ne m’était jamais venue. Je lui dis que j’y réfléchirais, mais que pour l’instant je ne me voyais absolument pas la vocation. De retour en France, même si cette intervention de sa part m’avait un peu dérangé, je continuai à fréquenter le centre. A partir de là, le prêtre du centre s’y mit aussi, et m’invita, pendant la confession, à réfléchir à la question de la vocation. L’un des deux, je ne me souviens plus lequel, me demanda de lire un livre répugnant qui s’appelle "Dieu vomit les tièdes", d’un certain Jesus Urteaga, prêtre de l’Opus Dei, livre dans lequel on vous explique, grosso modo, au milieu des invectives contre ceux qui "gardent leur vie pour eux-mêmes", les "égoïstes" et les "lâches", les "Pilate", que si vous refusez votre vocation vous allez droit à l’enfer, et que refuser l’appel de Dieu est une faute qui met en danger votre âme pour toute l’éternité, et autres élucubrations de ce genre.

On me fit lire aussi, encore pire, "Camino" de Josemaria Escriva, un recueil d’éructations réactionnaires et remplies de haine du monde moderne, sorte de "petit livre rouge" de l’Opus Dei prônant une spiritualité de laquelle est exclue toute rationalité.

Imaginez l’effet de telles lectures sur un garçon de 14 ans. En plus de tout cela, je crois que la guérison de mon frère de sa grave maladie me donnait l’impression que je devais quelque chose à Dieu, que Dieu me demandait quelque chose en échange. Je ne sais pas si cette idée était de mon propre cru ou si elle avait été instillée en moi par mes "directeurs spirituels", en tout cas ce qui est sûr c’est que personne ne me dit qu’elle était absurde, et que Dieu n’était pas un épicier.

Toujours est-il que la pression psychologique continuait et se faisait de plus en plus forte. Un jour le directeur me proposa de venir "réfléchir à la vocation" au centre en priant dans l’oratoire. J’acceptai. En sortant, il me dit qu’une feuille et un stylo m’attendaient pour que j’écrive la lettre de demande d’admission. Il y a dans mon souvenir comme une brume autour de ma conscience à ce moment, encore aujourd’hui je ne sais pas pourquoi je cédai, je pense que je faisais confiance : mon "directeur spirituel" et le prêtre me disaient que j’avais la vocation, ils devaient avoir raison, ils savaient, eux ! L’Opus Dei était une institution reconnue au sein de l’Eglise ! Il y eut un très bref entretien avec un autre numéraire, tout à fait formel, qui visait beaucoup plus à entériner la décision qu’à regarder si celle-ci était vraiment réfléchie et voulue. Et me voilà coincé.

A partir de là, j’étais ce qu’ils appellent "aspirant". C’est dans leur jargon juridique la période entre l’"admission" et l’"oblation" qui a lieu à vos 18 ans et qui est l’entrée officielle dans l’Opus Dei. Attention, il y a ici une subtilité juridique : cette notion d’aspirant permet à l’Opus Dei de se défendre, quand on la confronte aux faits des vocations forcées, en disant que "personne n’entre dans l’Opus Dei avant 18 ans", ce qui est un mensonge ; un mensonge peut-être validé par des arguties de droit canon, mais un mensonge tout de même, car les obligations et la pression psychologique que vous subissez sont exactement les mêmes que celles que vous subissez en étant "officiellement" numéraire à 18 ans. Obligation de "faire les normes", une heure de prière par jour, une demi-heure le matin, une demi-heure le soir, chapelet obligatoire, douche froide obligatoire le matin, interdiction de lire les livres que vous devez préparer pour le bac de français (c’est vrai que "le Rouge et le Noir" est un livre tellement "dangereux pour la foi" !), interdiction d’aller au cinéma, car il faut "protéger sa vocation", interdiction d’aller au théâtre, interdiction d’aller à une soirée d’anniversaire chez des amis, interdiction de faire la bise aux filles à cause de la "garde du coeur", obligation de ramener des gens aux activités du centre tous les samedis, obligation de faire une "démarche apostolique" tous les jours, obligation de dormir par terre une fois par semaine, obligation de porter le cilice quand on vient au centre (mais pas à l’extérieur, car bien sûr "les gens ne comprendraient pas"...), messe tous les jours, lecture obligatoire de "textes spirituels" qui évidemment consistent en des écrits de Josemaria Escriva (toujours lui !

A partir du moment où vous demandez admission, il devient omniprésent : sa photo est partout, ses livres sont partout, on ne vous parle que de lui, de son héroïsme, de sa sainteté, de ses livres extraordinaires, de la façon dont il a révolutionné la pensée chrétienne, de la façon dont il se fouettait des heures durant avec des disciplines au point de faire gicler du sang jusqu’au plafond...) etc...

Et c’est ça chercher la sainteté "en restant laïc" ? Si c’est ça la vie de leurs laïcs, qu’est-ce que c’est que la vie de leurs prêtres ? Dorment-ils sur des planches à clous avec une jambe derrière la tête tout en se fouettant avec des cordes à noeuds avec un casque audio leur lisant des écrits de Josémaria Escriva pendant la nuit ?

Je dois dire que dans tout ça, la seule chose qui me plaisait, c’était d’aller à la messe le matin avec mes parents et mon frère. C’était un moment o`u je pouvais me retrouver seul avec Dieu, dans un autre cadre, en regardant en arrière c’étaient de bons moments. Je commençais déjà à avoir du mal à dormir la nuit à force de trop réfléchir à tout ça, et je tombai fou amoureux d’une fille de ma classe en terminale. La "fidélité à ma vocation" me fit renoncer à elle, et je ne lui exprimai jamais mes sentiments. Quand elle sortit avec un autre garçon à la fin de l’année, je vécus une souffrance que je n’avais jamais vécue auparavant.

La souffrance de se voir rejeté par une personne qu’on aime est déjà une très grande souffrance, mais la souffrance de voir la personne que vous aimez être avec quelqu’un d’autre alors que vous pourriez être avec elle, mais que vous le refusez pour des raisons de vocation imposée, c’est une souffrance qui n’a pas de comparaison car c’est vous-même qui vous plantez un poignard dans le coeur...

Mais ce n’était rien en comparaison de ce qui m’attendait, car bientôt je passai mon bac et partis en prépa à Paris. J’eus mes dix-huit ans, et l’on me fit renouveler mon engagement en me faisant bien comprendre que ce n’était qu’une formalité et que j’étais bien numéraire depuis le début.

à suivre ...


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